Numéro dirigé par Stéphanie Genand
Les années 1780-1830 sont marquées par un dérèglement général des esprits : du choc de la Révolution, qui bouleverse la perception du temps et le rapport à l’espace, aux déracinements multipliés par le passage des frontières ou les transferts de biens lors des guerres menées à l’intérieur comme à l’extérieur de la France, pas un domaine de l’existence n’échappe à la grande volte-face des prérogatives, des générations et des autorités qui caractérise l’entre-deux siècles. « Il y a une vie entière de réflexions sur le spectacle qu’ont donné ces deux années », écrit Germaine de Staël le 16 septembre 1791, explicitant le caractère intense, à la fois stimulant et traumatisant, de cette séquence historique sans précédent.
Rien d’étonnant dès lors si les désordres de la psyché s’imposent comme l’une des signatures de ces « temps insensés », pour reprendre la formule de Louis-Sébastien Mercier dans l’Histoire de France qu’il publie en 1802. La périphrase circonscrit le singulier désordre moral qui expose l’individu et la nation au risque de succomber à la folie. Cette dernière, indépendamment de l’aliénisme qui déferle sur la scène médicale, court désormais les rues au point d’imprimer sa marque sur les imaginaires : de La Mère coupable de Beaumarchais jusqu’à Adieu de Balzac, « l’hôpital des fous » devient, en quelques années, le décor paradoxalement familier d’une littérature tout entière sous le signe de la démence.
Le présent numéro entend explorer la spécificité de ces « temps insensés » : leur rôle dans la création artistique et musicale du temps, leur lien avec la reconfiguration des places sociales et avec le traumatisme révolutionnaire, dans lequel Pinel diagnostique un substrat pathologique, particulièrement propice à l’éclosion des passions.
Ne faut-il pas, au moment 1800, articuler les Lumières à la déraison ? Pourquoi la folie envahit-elle à cette échelle la scène et l’espace public ? Que nous dit-elle des affects du temps, dont la fiction devient désormais la langue naturelle ? Le numéro 21 de la revue Orages lève le voile sur la richesse et la complexité de ces « temps insensés » qui unissent Diderot à Balzac.
Le Cahier d’Orages accueille un entretien avec Anouchka Vasak autour de son dernier ouvrage, 1797. Pour une histoire météore.
Illustration de couverture : Jean-Jacques Lequeu, Jeune homme faisant la moüe, [s.d], Bibliothèque Nationale de France.