Naissance du pèlerinage littéraire et artistique
Maisons natales, thébaïdes, cénotaphes, tombes, nécropoles… : la France recense à elle seule plus de cent cinquante lieux ouverts à la visite dédiés à la mémoire de ses écrivains et de ses artistes. Inaugurée bruyamment par Voltaire aux Délices puis à Ferney, l’histoire de «l’indispensable visite» et de son exceptionnelle réussite n’est toujours pas écrite. À mi-chemin entre l’histoire de la littérature et celle des mentalités, son étude fait pourtant plus que de mettre en exergue la nouveauté d’un statut social et moral ; elle illustre le glissement à son profit de pratiques et de croyances souvent anciennes.
Le cérémonial de la «visite à Ferney» analysé par Christophe Paillard paraît ainsi procéder de la pratique institutionnalisée du «Grand Tour» et s’imprégner de l’étiquette de la cour. L’exemple du cénotaphe de Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville, choisi par Tanguy L’Aminot, plaide pour une approche davantage initiatique inspirée des rites de passage et des sortilèges des romans médiévaux. Devenu objet de son propre mythe, Chateaubriand confère à la visite une dimension mystique à laquelle aucun des lieux évoqués par Christophe Penot (Combourg, La Vallée-aux-loups, Le Grand Bé) n’échappe. Et s’il récuse sa propre héroïsation, c’est aussi en pèlerin que Berlioz arpente les chemins de sa mémoire jusqu’à la « source silencieuse» décelée par Alban Ramaut dans la maison familiale de La Côte Saint-André. Mais la visite est aussi affaire d’organisation. Le culte posthume des écrivains a ses grands prêtres : le marquis de Villette, inventeur du panthéon, dont Olivier Guichard rappelle qu’il fut aussi à l’origine du cénotaphe de Voltaire à Ferney, Beaumarchais, auteur de ce qui pourrait s’apparenter à un sanctuaire dédié à Voltaire construit dans les jardins de sa somptueuse villa parisienne, comme le détaille Gregory Brown, mais aussi nombre de littérateurs comme Georges-Marie Raymond, propriétaire des Charmettes, dont le mérite principal, fait remarquer Mireille Védrine, est d’avoir transmis aux générations futures, un patrimoine d’exception.
La rubrique Varia accueille la présentation d’une lettre inédite de Marie-Joseph Chénier par Gauthier Ambrus, ainsi que des articles de Valérie Bonche, Étienne Kern, Sarga Moussa, Élodie Saliceto. Outre la contribution annuelle de Jean-Noël Pascal, le Cahier comprend un entretien avec Danielle Buyssens, historienne de l’art.
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